Châlons-en-Champagne : Anthony Gomes, le plus Champenois des Bengalis

Reims La Marne Viticole Arrivé en 2007 du Bangladesh avec son épouse, Anthony Gomes est le caviste gérant de « CPH, La grande boutique du vin », à Châlons-en-Champagne. Découvrons cet homme passionné, au parcours humain et professionnel hors norme.
Blanche Royer, au côté d’Anthony Gomes. Crédit Hugues Fourment.

 Arrivé en 2007 du Bangladesh avec son épouse, Anthony Gomes est le caviste gérant de « CPH, La grande boutique du vin », à Châlons-en-Champagne. Découvrons cet homme passionné, au parcours humain et professionnel hors norme.

Reims La Marne Viticole Arrivé en 2007 du Bangladesh avec son épouse, Anthony Gomes est le caviste gérant de « CPH, La grande boutique du vin », à Châlons-en-Champagne. Découvrons cet homme passionné, au parcours humain et professionnel hors norme.
Le caviste Anthony Gomes, dans son magasin châlonnais. Crédit Hugues Fourment.

Un homme de foi

« À vrai dire, j’ai toujours eu la foi, dit-il avec sérénité. »

Anthony est chrétien pratiquant, mais c’est surtout de sa foi en l’homme, en la vie et en la bonne étoile dont il est question. Arrivé en France en 2007 avec sa femme, il a attendu avec confiance la réponse des autorités à son dossier de demande d’asile.

« Dans mon pays, les membres des communautés religieuses minoritaires étaient persécutés. Avec mon épouse, Antonia, nous faisions partie des nombreux jeunes qui ne se voyaient plus d’avenir au Bangladesh. Nous sommes donc partis, via l‘Inde, et nous sommes ensuite arrivés en Europe. »

Anthony explique que la France s’est avérée être le pays le plus ouvert à étudier leur demande d’asile. Mais il a fallu tout de même trois ans d’examen du dossier. Entre-temps, le couple avait été placé dans un foyer à Châlons-en-Champagne.

« Comme nous n’étions pas autorisés à travailler, nous avons utilisé cette période d’attente pour apprendre le français, une langue que nous ne connaissions pas. Puis, nous avons suivi des formations spécifiques.

En 2008, j’ai passé le diplôme d’accès aux études universitaires. Et ensuite, au CFPPA d’Avize, j’ai fait la formation commerciale en vins et spiritueux, sur le conseil de Stephen Bonnesœur qui dirigeait le lycée viticole. Ça complétait les études commerciales que j’avais faites auparavant dans mon pays. »

Sommelier à Paris

 Antonia et Anthony ont tout de suite apprécié la Champagne, un territoire dont ils ont volontiers épousé l’identité. Ils n’ont jamais eu envie d’aller à Paris pour se mêler à la communauté bengalie. Non, ce qu’ils souhaitaient, c’était rester à Châlons pour s’intégrer à la culture française et champenoise.

« Il n’y a que la fraîcheur du climat hivernal qui nous dérangeait ! C’est même pour cette raison que je n’ai pas fait de formation de viticulteur à Avize, car ça m’intéressait également. »

Anthony a toutefois fait quelques infidélités à sa nouvelle terre d’adoption. Il a travaillé deux ans à Paris. Mais pas n’importe où…

« J’avais trouvé un poste de sommelier dans le bar à champagne d’un hôtel chic du 16e arrondissement : le Dokhan’s. L’originalité de cette cave est d’être constituée de champagnes de vignerons. Je retournais donc régulièrement en Champagne pour rencontrer les professionnels, des vignerons passionnés comme Pascal Agrapart, Jérôme Dehours, Fabrice Pouillon ou la famille Bérèche. C’était très enrichissant de démarrer professionnellement en échangeant avec des vignerons d’une telle qualité. »

Retour à CPH

En 2012, Anthony est revenu travailler sur Châlons. Sa femme était restée en Champagne et il en avait assez de s’absenter et de passer la semaine à Paris dans une chambre de bonne de 9 m2.

« Comme beaucoup de gens du Bangladesh, je donne priorité à la vie, à l’amitié et à la famille. Tout cela, je le trouvais plus aisément à Châlons ! »

Anthony est donc revenu à CPH, la cave champenoise où il avait été stagiaire durant ses études en vin. La confiance de la propriétaire, Françoise Hoffmann, lui a permis de rapidement prendre ses responsabilités, d’abord en dirigeant la boutique de L’Épine, puis celle de Châlons lors du regroupement des deux magasins.

« Une des clés du métier, c’est de constituer la cave. En 2015, je suis devenu responsable des achats. Alors, j’ai voulu élargir notre offre, miser sur la diversité et la qualité des références. Étant en contact avec les vignerons de Champagne, j’ai accentué leur présence. Françoise Bedel fut la première à intégrer notre offre, puis il y a eu Benoît Lahaye, Pierre Legras, et ainsi de suite… Et comme je voyais que les boutiques CPH de Reims et de Beaune proposaient également de belles références, j’ai proposé à mes homologues qu’on s’entraide pour rapprocher nos cartes. C’est ainsi que nous avons amélioré nos offres. »

 Un caviste qui bouge

 Depuis 2017, Anthony enchaîne les voyages professionnels. En quête de nouveautés pour ses clients, il part régulièrement dans les différentes régions de France.

« Nous sommes cavistes, notre travail est de faire découvrir des vins qui sortent de l’ordinaire. Je visite régulièrement le Languedoc-Roussillon, les Côtes-Du-Rhône, la Loire, toujours en quête des meilleurs vignerons – notamment les jeunes en devenir – pour proposer une carte des vins de France, complète et à notre goût. Car c’est fondamental : nous référençons ce que nous aimons. »

Désormais, Anthony se concentre sur les vins d’Europe. Le résultat de toutes ces prospections est spectaculaire : il est passé en 5 ans de 1000 à 1500 références.

« Mais maintenant je dois faire attention, car je suis limité par les capacités de stockage du magasin… »

 Un caviste qui partage

De toute façon, Anthony sait que la carte n’est qu’une étape préliminaire. Disposer d’une belle cave ne suffit pas, il faut aussi éduquer les clients, c’est-à-dire leur faire découvrir des vins, de manière ludique, voire festive, et les aider à comprendre ce qu’ils dégustent.

« J’ai créé des soirées de dégustations, en collaboration avec un restaurant. La demande est forte, c’est parfois complet longtemps à l’avance. Étant un ancien sommelier, j’aime présenter des accords mets et vins. Cela s’appelle « Partage et passion », parce que je partage ma passion avec nos clients. »

En parallèle, notre caviste propose des masters class avec des vignerons invités. Récemment, il a fait venir Marcel Deiss, Emmanuel Broché ou Benoît Lahaye…  Il intervient aussi dans des châteaux pour assurer des animations de dégustations, souvent auprès de touristes étrangers, et il accompagne des restaurateurs dans la constitution de leur carte des vins. En somme, il ne chôme guère.

Le bon karma

Antony est devenu propriétaire de l’établissement en 2020, à l’initiative de sa patronne de l’époque, Françoise Hoffmann.

« Je n’y pensais guère. J’avais développé ma fibre de caviste, cette passion me suffisait. C’est Mme Hoffmann qui, prenant sa retraite, m’a encouragé à reprendre son magasin. Mais je n’étais pas sûr d’être capable de maîtriser certains paramètres. Alors, elle m’a assuré qu’elle m’accompagnerait le temps nécessaire en matière de gestion et comptabilité. »

Trois ans plus tard, les signaux sont au vert et Anthony développe positivement son affaire.

Si l’on considère tout le parcours qu’il a réalisé, on peut y voir le signe d’un bon karma : sa passion pour son métier, pour les gens et pour la vie lui ramène du positif, notamment le soutien des autres.

« C’est vrai qu’il y a des personnes qui m’ont aidé. Je ne peux pas oublier la famille qui nous a accueillis quand nous sommes arrivés ici avec mon épouse, je ne peux pas oublier mon ancienne patronne qui m’a encouragé à évoluer et je ne peux oublier tous ces vignerons qui m’ont ouvert leur porte depuis le début.

De toute façon, dans ma vie, j’ai toujours avancé de manière positive, j’oublie ou j’évite les mauvaises choses et je vais vers les bonnes. »

Telle est la recette gagnante, celle du sommelier qui sait mettre une table en joie…

Hugues Fourment


« Une très bonne ambiance »

Reims La Marne Viticole Arrivé en 2007 du Bangladesh avec son épouse, Anthony Gomes est le caviste gérant de « CPH, La grande boutique du vin », à Châlons-en-Champagne. Découvrons cet homme passionné, au parcours humain et professionnel hors norme.
Blanche Royer, au côté d’Anthony Gomes. Crédit Hugues Fourment.

Formée par Anthony Gomes et diplômée en vin, la jeune Blanche Royer nous explique sa satisfaction de travailler au sein de la boutique CPH :

« Je suis arrivée au magasin en tant que stagiaire, il y a trois ans, dans le cadre d’une formation commerciale pour adulte. Anthony travaillait là, mais il n’était pas encore le propriétaire. Quand il a repris l’établissement, il m’a recontacté pour me proposer un poste salarié. Je n’avais pas de diplôme spécifique pour le vin à l’époque, mais il considérait que j’avais le profil et il appréciait ma culture du terroir et des plats gastronomiques. J’ai volontiers accepté son offre, car j’aime le vin. De plus, ce métier permet de rencontrer des personnes vraiment intéressantes.

Nous travaillons dans une très bonne ambiance. Anthony évite de développer une relation hiérarchique, il me fait confiance. Je participe aussi à la sélection des vins, car j’ai un palais différent. J’apporte en la matière ma jeunesse et ma touche féminine, ce qui nous permet d’avoir des points de vue complémentaires. »